Du bio à la cantine et du champ à l’assiette
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(Retrouvez les dernières actualités concernant le bio dans la restauration municipale à Lille dans l’article rédigé par Lise Daleux sur le blog des élu(e)s EELV)

Que peuvent faire les villes pour une meilleure alimentation, et indirectement pour le développement de l’agriculture biologique ?

Pour répondre à la question les élus EELV de Lille et le groupe local ont organisé un café politique le mercredi 14 décembre, au restaurant bio « La Source » à Lille. Les élus rendaient compte ainsi de leur action à la ville sur ce domaine – C’était leur 4e réunion publique de bilan – et notamment de leur vigilance quant à l’introduction du bio dans les cantines. Ils avaient invité Marion Lepresle, élue EELV adjointe au Maire d’Amiens en charge de la restauration scolaire notamment.

Un domaine vaste, et vital, avec des traductions locales concrètes

« Du champ à l’assiette »… L’intitulé n’était pas anodin. Dans nos sociétés où l’industrie agroalimentaire a pris une part prépondérante, on a tendance à oublier qu’à l’origine de nos repas se trouvent bien des agriculteurs. Il convenait aussi de garder à l’esprit que – selon les régions du monde – les populations sont confrontées à des problématiques très diverses : mal et sous-nutrition, aléas de production, santé, malbouffe, standardisation, poids de la grande distribution…

Ces questions sont importantes pour les écologistes, attachés au principe de souveraineté alimentaire et de commerce équitable au nord comme au sud, à la lutte contre la pollution et le réchauffement climatique, causés pour partie par des modes de production intensifs. Pollution et réchauffement climatique induisent en retour des effets sur la production et l’alimentation : sols moins fertiles, baisse de production, maladies, pollution de l’eau, menaces sur les ressources.

L’alimentation est un domaine vital, qui dépend du marché économique mondial, des politiques agricoles au niveau international, européen, national. Les villes et régions ont pourtant un rôle à jouer puisqu’elles gèrent la restauration collective, passent des commandes publiques, soutiennent des filières (agricole, agroalimentaire), sensibilisent les citoyens.

A la ville de Lille, les élus EELV portent des délégations qui – indirectement – peuvent peser sur le sujet, via la petite enfance (Lise Daleux), le commerce équitable et l’économie sociale et solidaire (Christiane Bouchart), la consommation durable (Vinciane Faber). C’est une élue socialiste, Marielle Rengot qui suit le dossier de la restauration scolaire.

En outre, depuis 2010, Jean Louis Robillard porte à la région Nord Pas de Calais les politiques de l’alimentation, de la régionalisation de l’agriculture et de la ruralité.

Un des leviers majeurs pour répondre aux enjeux cités est le développement du bio

Ce label très identifié apporte des garanties sur le respect de l’environnement, sur une qualité certaine. De plus, le soutien aux filières bio induit des effets divers pour les agriculteurs comme pour la population : moindre dépendance envers les grandes firmes chimiques et de semences, relocalisation de la main d’oeuvre, changement des circuits de distribution, préservation de la ressource en eau (et notamment des champs captants), lutte contre la pollution, protection de l’environnement, etc.

Le contexte global en quelques chiffres

  • En France, le marché de l’alimentation bio a atteint 2% du marché alimentaire total (contre 1,1% en 2005). Il s’est élevé à 3,5 milliards d’euros en intégrant les achats par la restauration collective.
  • Avec les lois Grenelle, la France affirme vouloir combler le retard de la filière sur le territoire :

> Fin 2010 le bio représentait 3,09% des surfaces agricoles.[1]

> L’objectif est d’atteindre 20% de surfaces consacrées au bio en 2020 (6% en 2012, ce qui n’est pas gagné) et 20% de produits bio dans la restauration collective publique de l’Etat en 2012.

  • Le Nord Pas de Calais compte 237 exploitations bio, ce qui place la région au 18ème rang français, avec 6 009 ha (bio + conversion), soit 0,7 % de la surface agricole utile (SAU) en bio – le 22ème rang français. 323 transformateurs de produits bio et 116 distributeurs de produits bio travaillent en région. En Picardie, la part des surfaces cultivées en bio est plus faible encore, avec 0,5 % de la SAU, 23ème rang français.

 

A Lille, parviendra-t-on aux 50% de produits bio en 2014 pour les repas des enfants ?

Cet objectif figurait au programme socialiste pour les municipales et a été confirmé lors de la division par deux des tarifs de la cantine en juin 2008. Dès cette époque les élus Verts avaient indiqué combien il faudrait être vigilant à la concordance de ces deux mesures : la baisse des tarifs ne devant pas freiner l’introduction du bio.

Les élus Verts saluent donc le travail de fond qui a été mené sur 3 ans pour préparer les nouveaux achats de produits bio. Ce travail a permis d’évaluer les coûts, comme les changements d’habitudes à tous les niveaux : des élus et des services jusqu’à celui qui se nourrit. Une étude spécifique a établi des préconisations sur la composition des repas, sur les produits prioritaires, sur une nouvelle organisation des cuisines. Le 16 septembre 2011, le conseil municipal votait une délibération pour lancer des marchés publics de produits bio (12 lots au total). Mais cet automne, l’exercice délicat du budget est venu contrarier la mise en œuvre finale de ces marchés, et a nettement revu à la baisse le nombre de produits concernés, tout en négligeant la plupart des préconisations de l’étude.

Avec ce retard par rapport aux prévisions, il faudra que la ville soit très volontaire durant les deux années à venir si elle veut atteindre les objectifs fixés. En 2012, les enfants devraient toutefois recevoir régulièrement dans leur assiettes des fruits et des légumes bio.

Le contexte lillois en quelques chiffres

  • 11000 repas par jour sont servis par la ville (cantines, crèches, CCAS, restaurant municipal).
  • 9000 repas sont préparés dans une cuisine centrale pour les cantines scolaires.
  • Dans les crèches municipales, les repas sont produits sur place (900 environ).
  • Le prix unitaire global du repas des cantines est de 7,80€, dont 1,40€ pour les denrées (l’encadrement – et l’animation de la pause méridienne sont inclus).
  • Les tarifs pour les familles s’échelonnent de 0,50€ à 2,20€.

A titre de comparaison, le tarif maximum à Amiens est de 5,70€. Les deux premières tranches bénéficient de la gratuité grâce à une prise en charge par le département. A Lyon, les tarifs s’échelonnent de 0,75 € à 6,50€. Dans ces deux villes, des produits bio y sont déjà régulièrement servis ; et la restauration collective est confiée à des prestataires privés via une délégation de service public. Cependant, la ville d’Amiens, suite au changement de majorité municipale, a décidé de passer en régie directe.

Le bio, l’arbre qui cache la forêt

Les freins récents constatés à la ville de Lille ont amené les élus Verts à adresser un courrier au Maire pour insister sur les nombreux bénéfices du bio, dont l’introduction ne saurait être mesurée par des logiques purement comptables. Les limites et les difficultés observées à Lille et ailleurs (les objectifs du Grenelle pour 2012 ne seront vraisemblablement pas atteints) ont fait l’objet d’échanges nourris lors du café politique du 14 décembre, avec des points de vue multiples : agriculteurs, boulanger, cuisiniers, distributeurs, élus, parents d’élèves etc.

L’introduction du bio dans la restauration collective a d’ailleurs la vertu de mettre en évidence des questions trop souvent ignorées, et qui ont été fort discutées lors de la rencontre avec les élus EELV.

La qualité alimentaire  : D’une manière générale, la qualité des aliments – qui dépend des variétés, des modes de production et de préparation – aura une influence sur le sentiment de satiété, de satisfaction gustative, comme sur les apports nutritifs. Le bio amène une attention plus poussée à la qualité des ingrédients.

Les repas végétariens  : Limiter l’offre de viande reste encore mal perçu. Pourtant, proposer des repas végétariens constitue une réelle alternative pour limiter l’impact environnemental négatif de sa production, et pour éviter des surcoûts exacerbés par le gaspillage (refus pour des raisons de qualité, ou religieuses). Un travail en ce sens est mené par Vinciane Faber avec la diététicienne de la ville pour introduire des repas végétariens constitués de protéines végétales, qui ne consistent donc pas seulement à remplacer la viande par des œufs ou du poisson. Le témoignage de Marion Lepresle a confirmé la nécessité de veiller à des plats attractifs (couscous sans viande, pizza, gratins, etc.).

Le gaspillage  : La réflexion sur la composition des repas induite par le bio a mis en évidence un gaspillage déplorable. A Lille, sur certains sites, on jette de 50 à 70 % de la viande ! Cela milite en faveur d’une plus grande part des repas végétariens. Plus généralement 10% des repas préparés sont perdus, pour diverses raisons : évaluation difficile du nombre de repas à servir, repas à peine consommés, conditionnement inadapté des produits… De même, dans les lycées de la région, on jette en moyenne 100 grammes par repas. L’opération green cook (qui émane d’un projet européen de lutte contre le gaspillage) fait notamment l’objet d’une démarche pilote dans 10 lycées pour sensibiliser les élèves.

La préparation des repas  : L’introduction du bio amène aussi des denrées non conditionnées. Le simple fait d’incorporer des légumes pleins de terre par exemple bouleverse les habitudes et normes de la restauration collective. Ces nouveaux produits implique la création d’une légumerie dans la cuisine centrale pour les préparations (lavage, épluchage, découpe…). Aussi étonnant que cela puisse paraître, cela induit un changement de travail pour le personnel qui gère – ne l’oublions pas – 10.000 repas à la cuisine centrale. Le chef de cuisine tient là un rôle important : il doit être convaincu de l’intérêt des produits bio dans la restauration.

Ce que recouvre le prix  : La part des denrées alimentaires dans le coût global du repas est particulièrement faible à Lille.[2] Cela est dû au fait que la ville est un « bon acheteur ». Entendez par là que la ville sait acheter à bas prix. Pour autant, on peut s’interroger sur la qualité induite des ingrédients et relativiser le surcoût annoncé : flagrant non pas parce que le bio serait cher, mais parce que les produits conventionnels de référence ne sont pas de qualité suffisante. C’est bien connu, on ne compare pas des choux et des carottes.

La commande publique : effet levier pour la filière bio

Au regard des échelles importantes de la restauration collective, on aurait tendance à penser que les producteurs locaux en agriculture biologique seraient en difficulté pour répondre à la commande publique, faute de volumes suffisants. En réalité, 25 ha suffiraient à répondre aux besoins de la ville en produits bio [3].

En fait les commandes de la ville de Lille assureraient un volume de départ pour des paysans de la métropole. Surtout, en s’engageant précisément dans la commande de produits bio, la ville de Lille lance un signal fort, symbolique, notamment envers les autres communes de la communauté urbaine. Christiane Bouchart accompagne d’ailleurs une réflexion à LMCU avec un club des villes qui ont décidé d’introduire des produits bio dans leur restauration collective : échange de bonnes pratiques, recherche de mutualisation, connaissance des besoins… Une réunion le 15 décembre dernier a montré l’intérêt croissant et manifeste pour la qualité de l’alimentation et le bio.

Les Verts avaient demandé en 2008 qu’une nouvelle vice-présidence dédiée l’agriculture voit le jour à LMCU, agglomération à 60% rurale [4] ! C’est un premier pas qui permet possiblement aujourd’hui de mener des réflexions comme celle-là ou par exemple d’insister sur la préservation des terres agricoles et la recherche de surfaces cultivables pour l’agriculture biologique. Ainsi à Wavrin, on étudie la possibilité de consacrer 47,7 ha à l’installation en agriculture biologique. De son côté, la région Nord Pas de Calais a mis en place un plan de développement de l’agriculture biologique avec près de 1,5 millions d’euros investis en 2011.

Une cohérence des politiques publiques voudrait que le soutien à la production soit corrélé à des choix d’approvisionnement compatibles, en somme que les cantines des écoles, collèges et lycées reçoivent aussi des produits locaux et bio.

Alors d’où vient le difficile approvisionnement local en bio ? Il n’est pas dû – cela a été dit – à une production insuffisante. Il résulte plutôt d’une logique financière qui met en concurrence dans les marchés publics de grandes entreprises de distribution agroalimentaire avec des structures plus artisanales. Avec des produits transformés comme le pain, cela devient encore plus évident : comment faire face à une production industrielle de pain bio à grande échelle, réalisée avec des farines issues de blé cultivé sur de vastes surfaces ukrainiennes, nécessitant peu de main d’œuvre, qui plus est moins coûteuse ?

La volonté politique résulte aussi de l’exigence citoyenne

Ce n’est pas tant ce bio lointain, que certains disent « carboné » (expression vérifiée par aucune étude fiable) qui limite la décision d’approvisionnement local de qualité. C’est bien davantage d’une question politique qu’il s’agit. Industrialisation croissante du secteur bio, manque de fiabilité ou de traçabilité, faible rémunération des producteurs ici ou ailleurs : toutes ces questions viennent sur la table et montrent combien le souci de proposer une alimentation de qualité interpelle non seulement les politiques de santé et d’environnement, mais aussi agricoles, industrielles, d’emploi… Encore faut-il regarder ce que l’on paie. Le soi-disant « coût » du bio nous interroge finalement sur la durabilité de notre modèle économique.

Modestement, il convient déjà de voir comment les cahiers des charges et les marchés publics peuvent éviter ces effets de distorsion. Des critères environnementaux, de proximité, de saisonnalité existent. [5]

Il suffit aussi à tout un chacun de s’informer, d’interroger les responsables de structures (écoles, lycées, restaurant d’entreprise etc.), de faire connaître son exigence de qualité à la ville, aux élus… Exigence de qualité qui suppose une juste rémunération : ce qui arrive dans votre assiette a un jour été produit par un agriculteur !

Pour en savoir plus, pour agir…

> Consultez le site de l’Agence bio qui regorge d’informations sur la filière (à noter en rapport avec notre sujet une publication sur le bio et la restauration collective).

> Participez à la campagne « Développons l’agriculture biologique », menée par Agir pour l’environnement.

> Suivez le blog passionnant et très documenté « Ma cantine bio » ainsi que la campagne du WWF « Oui au bio dans ma cantine ».

Ajoutons ce samedi 7 janvier 2012 un lien vers un article très intéressant de La Voix du Nord. Il résume avec clarté l’évolution constatée ces derniers mois quant à l’introduction du bio dans les cantines. Evolution qui a motivé pour partie notre café politique du 14 décembre 2011 : « Loin des espoirs de 2008, le bio arrive dans les cantines sur la pointe des pieds« .

> Voyez la bande-annonce de L’Aile ou la Cuisse, toujours actuelle !

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Manifestation à Phalempin le 17 décembre 2011 contre une proposition de loi favorisant les semenciers

 

[1] Soit 845 440 ha (+25% par rapport à 2009), dont 273 626 ha en conversion.

[2] 1,40€ sur les 7,80€ du coût global. A Lyon, le coût global est de 10€, dont 2,50€ pour le repas. Encore faut-il voir ce que chacun de ces coûts reflète exactement.

[3] Par exemple, 80 tonnes de pommes commandées sur l’année équivalent à 4 ha.

[4] http://fr.wikipedia.org/wiki/Lille_M%C3%A9tropole_Communaut%C3%A9_urbaine

[5] Ils émanent d’une évolution du code des marchés publics – Voir ici notamment : http://macantinebio.wordpress.com/2011/08/31/le-code-des-marches-publics/