Compte rendu de la DécouVerte du samedi 11 février 2017
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Rendez-vous à 14 h 30 métro Porte de Douai pour plus d’une trentaine de personnes chaudement vêtues, malgré le pic de pollution aux particules fines que subit toute la région depuis 3 jours.

De la Porte de Douai à la Porte d’Arras, par le Jardin des Plantes et Filbertville.

Le quartier que nous allons arpenter aujourd’hui, toujours guidés par Dominique Plancke, se situe en partie sur le quartier de Moulins et en partie sur Lille Sud, la voie ferrée Lille-Béthune marquant la limite. Nous serons sur le territoire de l’ancienne commune de Wazemmes puis de Moulins après la création de celle-ci. Et enfin à Lille depuis l’absorption de Wazemmes et de Moulins par celle-ci lors de l’agrandissement de 1858. La station de métro est située quasiment à l’emplacement de la Porte de Douai. En effet avant l’arasement des fortifications dans l’entre deux guerres, la rue du Faubourg de Douai empruntait le tracé actuel de l’impasse de l’observatoire puis de la rue du Jardin des Plantes. Pour des raisons stratégiques, les portes portes de Lille n’étaient pas dans l’axe des rues qui y menaient pour ne pas permettre à un éventuel ennemi de les prendre en enfilade. La rue Armand Carrel qui est aujourd’hui l’axe principal n’existait pas dans sa configuration actuelle, elle a été ouverte après la disparition des remparts.

Au bout de la rue Louise Michel, le groupe emprunte la passerelle qui permet d’enjamber le boulevard périphérique sud creusé à la fin des années 60 à l’emplacement du Boulevard des défenseurs de Lille. Le bruit de la circulation est assourdissant et couvre les voix.

Entre sciences et éducation : l’école de plein air et l’observatoire

Devant nous au pied de la passerelle s’élève l’ancienne Ecole de Plein Air construite en 1931. Voulue par le Docteur Désiré Verhaeghe, adjoint au Maire de l’époque, qui convainc Roger Salengro de l’intérêt de la construction d’écoles de plein-air pour les enfants les plus fragiles, elle s’inscrit dans un contexte national hygiéniste. Il s’agit notamment de tenter d’éradiquer des épidémies telle que la tuberculose encore très présente. On crée ici des bâtiments dotés de grandes baies vitrées qui permettent aux enfants de 7 à 12 ans, qui viennent ici sur prescription médicale, de profiter au maximum de la lumière naturelle et faire le plein de vitamine D. Avec la proximité du périphérique, on a du mal à imaginer aujourd’hui que l’emplacement avait été choisi pour faire bénéficier les enfants de la verdure et du bon air. L’école est transférée en 1976 à Lambersart avant de fermer en 1985. Les bâtiments abritent aujourd’hui l’institut médico-éducatif « la Roseraie » qui accueille des enfants et des adultes en situation de handicap.

Comme l’Ecole de plein air, l’Observatoire fait partie des équipements voués à la science et à l’éducation et s’appuyant sur les valeurs de l’hygiénisme, créés par la municipalité de Roger Salengro à l’emplacement des remparts dans les années 30, en réponse à l’entassement industriel  et urbain dont souffre alors notamment le quartier de Moulins (Institut de mécanique des fluides, Institut Diderot…)

Julien Dubois, actuel adjoint au Maire en charge du Patrimoine, nous explique l’histoire de l’Observatoire, propriété de la ville de Lille, construit en 1934. il est toujours confié au laboratoire d’astronomie de l’université de Lille 1, et animé par l’association Jonckheere (du nom d’un négociant roubaisien passionné d’astronomie qui avait créé un observatoire à Hem) Il se visite notamment lors des journées du patrimoine. Le bâtiment, d’une grande qualité architecturale, mêlant éléments art déco et modernistes a fait l’objet de restauration en 2015-2016. Il est inscrit monument historique depuis 2001.

Le jardin des plantes

Nous entrons dans le Jardin des Plantes aménagé ici par la municipalité entre 1948 et 1951, sur les plans de Jean Dubuisson (architecte) et de Jacques Marquis (paysagiste).

Lise Daleux, adjointe au maire en charge de la nature en ville, nous explique que le rucher école municipal jusqu’ici à la Ferme Marcel Dhenin, rue Eugène Jacquet à Fives vient d’être installé au jardin des plantes. Il utilise d’ailleurs la salle de cours de l’observatoire. Le Jardin des plantes est après le parc de la Citadelle le plus grand parc de la ville avec 10 hectares. Et même si le calme espéré n’est pas toujours au rendez-vous entre voie ferrée et périphérique, le Jardin des Plantes est un beau lieu de promenade qui abrite aussi de très riches collections botaniques et de splendides roseraies et des aires de jeux pour enfants. On y trouve même comme à la Citadelle de grosses pierres rescapées de la démolition de l’ancien palais de justice de Lille. Les bassins inutilisés vont prochainement être transformés en lagunages. La serre équatoriale construite en 1970 vaut elle aussi la visite.

Le grand bâtiment de l’orangeraie accueille les plantes les plus fragiles qui doivent être protégées du froid l’hiver. Les serres de production municipales qui étaient situées derrière l’Orangeraie le long de la voie ferrée vont être prochainement reconstruites. Le jardin est inscrit comme monument historique depuis 1997.

Moulins et maisons en bois

La dénomination de la rue Cervantes, qui est en réalité une impasse, est sans doute un clin d’oeil à Don Quichotte. A proximité s’élevaient en effet quelques uns des nombreux moulins qui ont donné leur nom au quartier. A l’emplacement de l’observatoire s’élevait aussi une perche de tir à l’arc.

Par l’actuelle rue du Capitaine Ferber, le chemin de l’évêque, permettait à l’évêque de Tournai (dont dépendait Lille) de se rendre à sa résidence de Wazemmes (du côté de la Place de Girard actuelle), via la rue de Bapaume et la rue de la Justice, et la place de la solidarité.

La rue du Jardin-des-plantes compte encore sur le côté gauche en venant du Jardin quelques maisons en bois, comme on en trouve encore quelques unes à Fives ou à St-Maurice Pellevoisin. Ces maisons étaient construites dans la zone de servitude militaire présente à proximité des remparts et devaient être construite en bois pour pouvoir être démolies rapidement en cas de conflit.

Les mystérieux doubles trottoirs de la rue du Faubourg de Douai

Avant la voie ferrée qui mène de Lille à Béthune traversait la rue à un passage à niveau. En 1950 la voie est surélevée et franchit la rue sur un pont métallique réalisé et posé par l’entreprise Paindavoine. A cette occasion, pour limiter le remblai de la voie de chemin de fer, la chaussée est aussi creusée jusqu’à 1,5m, ce qui explique le curieux double trottoir de part et d’autre du Pont de chemin de fer. C’est à cette époque aussi qu’est créée la halte ferroviaire de la Porte de Douai.

Et nous arrivons à Filbertville

Passé le Pont de chemin de fer, un peu plus loin c’est Ronchin. La rue est bordée de très belles maisons du début du 20ème siècle art déco ou art nouveau. Nous empruntons à gauche la rue Abélard et tout de suite encore à gauche la rue des Hannetons. A la fin du 19 ème siècle il n’y avait ici que des sentiers à travers champs et bordés de haies connues pour abriter des hannetons qu’on appelait « bruants » en picard. D’où l’appellation de bruants utilisée pour dénommer les habitants de Ronchin. le n*28 abrite une chambre d’hôtes et au 51 s’élevait la dernière ferme de la rue.
A l’angle de la rue Lesage-Senault, on peut encore deviner l’inscription « boucherie-charcuterie » au dessus de la porte sur le pan coupé. En 1965 le quartier comptait dans sa partie lilloise une cinquantaine de commerces pour 3500 habitants, dont quatorze  cafés et six épiceries.
La Ville de Lille a engagé une réflexion pour  redonner une cohérence urbaine au site qui comprend l’école Moulin-Pergaud, la résidence ICF, le collège Verlaine, le local associatif de Filberjoie, et les équipements sportifs (terrain et salle de sports) où l’on accède par le chemin des Margueritois. Tous ces équipements ont été construits de façon un peu aléatoire au fil des années sur une partie des terrains de l’entreprise Paindavoine, expropriés à l’époque où l’entreprise était en difficulté, terrains sur lesquels se situait le Stade Paindavoine et des jardins ouvriers.

La saga Paindavoine

L’entreprise Paindavoine s’est installée rue Berthelot sur des terrains achetés aux hospices de Lille en 1923, après avoir été créée rue de Douai et après une installation à l’angle de la rue des Meuniers et du Bd Victor Hugo. Elle construit des ponts et des charpentes métalliques, concurrente de la société Eiffel. A partir de 1931 elle se lance dans la construction d’engins de levage. Après la 2ème guerre mondiale, les nouveaux dirigeants Paul et Jacques, neveux des fondateurs, se lancent dans de grands chantiers à l’international (Iran, Amérique Centrale et du Sud, Asie, Afrique). L’entreprise Paindavoine a compté jusqu’à 800 salariés. Elle occupait presque tout l’espace entre le prolongement de la rue des Hannetons et la rue Victor Renard et entre la rue Berthelot et la rue des Margueritois. C’est le pont d’Onitsha, le plus grand d’Afrique, au Nigeria qui provoquera la perte de l’entreprise, mal assurée. La destruction du pont, pas encore payé, dans le conflit du Biafra entraîne la fermeture de l’entreprise et le licenciement de tout le personnel en mars 1965. Jacques Pandavoine se lance dans la location de hangars et des bureaux. En 1989 l’ensemble du site est acheté par le groupe Garonor, qui rase les bâtiments en 1997. Seuls les bureaux sont conservés, et sont devenus le domaine Paindavoine, pépinière d’entreprises gérée par la société Mémoire de Pierre depuis 2001, et sont ouverts au public lors des journées du patrimoine. On peut y visiter le bureau des directeurs conservé « dans son jus », mais aussi découvrir sur les murs les photos des réalisations de l’entreprise Paindavoine, dont les archives sont conservées aux archives du monde du travail à Roubaix.

En 2011 un ouvrage sur l’entreprise : « Paindavoine, une mémoire de fer » a été publié par Marc Paindavoine et Hervé Leroy. A Lille, Paindavoine a construit le siège de La Voix du Nord sur la Grand-Place, le beffroi et la verrière de la Chambre de Commerce ou encore l’immense bâtiment de la foire commerciale, ou l’immeuble du Rectorat rue St Jacques.

Au début du 20ème siècle, seuls les grands axes de la rue du Faubourg de Douai (RN17) et du Faubourg d’Arras (RN25) sont habités. Le diocèse décide en 1908 de construire une église à mi chemin entre ces deux axes sur ce qui n’est pas encore la rue Berthelot. L’église est achevée en juillet 1911 et est consacrée à St Philibert, en hommage à Philibert Vrau, industriel lillois (« le fil au chinois »), un des promoteurs de la faculté catholique de Lille et des sociétés St Vincent de Paul, décédé en 1905. Les rues Michel-Ange, Berthelot, Caventou, Le Fort et Louis-Spriet sont ouvertes tour à tour à cette époque dans un quartier bientôt dénommé quartier St Philibert. Plus tard le quartier deviendrait « le quartier Fllbertville », puis en 1948, la commune libre de Filbertville fut inaugurée solennellement en juillet 1948 lors de la kermesse des écoles. L’identité villageoise reste forte aujourd’hui dans ce quartier qui, même s’il est officiellement à Lille Sud, revendique sa personnalité propre, aux limites de Ronchin et de Faches-Thumesnil. Dans les années 60, c’est la rue Jeanne Godart qui est ouverte pour accueillir des petites maisons avec jardins et garage.

A l’emplacement d’une ancienne briqueterie, autour de l’église Saint-Philibert et du presbytère construits en 1911 et aujourd’hui restaurés après avoir failli disparaître dans les années 2000, sont érigées en janvier 1914 l’école maternelle et l’école des filles Sainte-Marie aujourd’hui remplacées  par un immeuble de logements en construction, en 1927 l’école des garçons Saint-Philibert et en 1933 le foyer-théâtre, salle des fêtes, dont seul le pignon a été conservé.

Au 44, rue Michel-Ange (et non Michel ANGE, comme noté sur les plaques de rue), nous sommes gentiment accueillis par le propriétaire de la maison dont la façade est ornée de deux visages – l’un grimaçant, tourné vers l’église, l’autre réjoui, tourné vers l’ancien café situé presqu’en face. Il nous explique que c’est son grand-père qui a sculpté ces deux visages, et que son grand oncle a sculpté les visages figés d’une autre maison rue Caventou. Au 13-15, rue Le Fort nous admirons l’étonnante villa Sainte-Marthe, habitée après-guerre par René Gaifie, maire RPF de Lille de 1947 à 1955, villa qui  hébergea pour une nuit le général de Gaulle. René Gaifié dut démissionner après avoir été accusé de mauvaise gestion. Il fut remplacé par Augustin Laurent (SFIO).
En 1950, une « Petite Histoire locale, Filbertville » est publiée par J. Van Agt, curé de St Philibert, reproduisant les notes qu’il avait publié depuis 1947 dans « Le Filbertois », journal du quartier.

La Zac des Margueritois

Dès la fin des années 90, on parle de construire des logements entre la rue Berthelot et Faches-Thumesnil sur le site libéré après la démolition des hangars Paindavoine. Mais les études de sols révèlent qu’ils sont très pollués, non pas par l’activité de l’usine elle- même, mais du fait des remblais apportés dans les années 20  pour la construction de l’usine. Plusieurs promoteurs jettent donc l’éponge et ce sont les pouvoirs publics, via l’EPF qui prend en charge la dépollution, puis via la SORELI qui aménagent le site avec la construction de trois rues et la réalisation d’un square. Au total 265 logements ont été construits mêlant logements sociaux, logements en accession aidée et logements « libres ». Les rues qui portent les noms de Filbertville, de Paul et Elisée Pandavoine et de Renée Lambert, syndicaliste féministe décédée en 2008, sont bordées de noues plantées qui récupèrent les eaux de pluies. Quelques uns des nouveaux logements portent un autocollant « voisins vigilants », initiative qui veut assurer la sécurité des nouveaux habitants.

Une autre association, aux objectifs nettement plus positifs, s’est créée en 2014 dans le quartier, l’association des deux faubourgs qui a en projet entre autres un café associatif, une donnerie, des échanges de savoir-faire.

Rue Abélard, du côté de la voie ferrée, a été ouvert il y a deux ans l’Atri-Home, qui a remplacé l’Atrium qui avait été construit au pied des Biscottes. C’est un foyer de Jeunes Travailleurs qui accueille 300 locataires.

La Ferblanterie, lieu de création indépendant

Au 16 rue Abélard est installée depuis 2010 la Ferblanterie, lieu de création et d’expérimentation géré par un collectif disposant d’un hangar en location. Elle se définit comme une fabrique artistique de 1200m² composée d’ateliers, lieu de travail pour la soixantaine de résidents. « Artistes, artisans et compagnies d’arts vivants se côtoient au quotidien, se partageant les locaux agencés en espace d’ateliers individuels et collectifs, et en espaces communs composés : d’un hall d’exposition, d’un plateau modulable, d’une cour, et d’espaces de convivialité. La Ferblanterie est un lieu pour échanger, rebondir, soutenir, un lieu pour inventer d’autres possibles. » Mais le bail de la Ferblanterie arrive à terme au 1er janvier 2018 et le collectif réfléchit à la mise en place de dispositifs permettant des mises à disposition temporaires ou plus pérenne. D’une part en vue de pérenniser ou redéployer le projet de l’association Ferblanterie, d’autre part en lien avec de futurs projets en gestation, favorisant l’émergence de lieux intermédiaires et indépendants. En 2009 le collectif était installé à Moulins dans un ancien atelier de fabrication de fer blanc, dont il a gardé le nom.

De l’autre côté de la rue Abélard s’achève le premier bâtiment de la Cité des métiers et de l’artisanat, projet lancé en 2006 et qui a eu du mal à se concrétiser. La Cité de l’artisanat et des métiers, parfois dénommée Eurartisanat, accueillera d’ici la fin de l’année la chambre des métiers, le Centre de formation d’apprentis de la restauration, une université régionale des métiers et le centre de formation continue des artisans. L’intégration de cet équipement dans le quartier devra être travaillée pour éviter qu’il ne soit « hors-sol ». Une place est prévue à l’angle de la rue Abélard.

Les pieds dans la boue répandue sur le trottoir (signe d’un chantier pas très bien tenu), nous rejoignons le pont qui enjambe la voie ferrée et qui a remplacé en 1950 le passage à niveau de la gare du Faubourg d’Arras qui était jusque là située à l’extrémité de la rue Abélard.

De l’autre côté de la rue du Faubourg d’Arras, rue de Carvin, s’achève un autre bâtiment, dont un panneau nous explique qu’il s’agit de « Décathlon Jardin des Plantes ». Le projet d’usine de fabrication de chaussures Essensole et ses 120 emplois annoncés en 2008 n’est plus à l’ordre du jour semble-t-il.

Ici la voiture a pris le pas sur la ville

Avant de rejoindre le terme de notre Découverte, le métro Porte d’Arras, nous nous arrêtons quelques instants sur l’un des pires lieux  qui soient pour les piétons à Lille : la traversée de la rue Jussieu entre Moulins et Lille Sud, un vaste endroit où les bretelles d’accès au périphérique sont une négation de la ville et gaspillent l’espace.  Pour EELV, il faut d’urgence couvrir à cet endroit le périphérique pour permettre un accès facile depuis Moulins et le métro au Jardin des Plantes et à Lille sud.

Rendez-vous est pris pour la prochaine DécouVerte, samedi 1er avril à 14 h 30 au métro Canteleu.

Photos Marc Santré